« Puis, le régime a, surtout, compris que le peuple sait maintenant se mobiliser amplement, de manière étendue et durablement. Le peuple a la conscience de la compétence acquise. Et le peuple réexercera cette aptitude un jour où l’autre. »
Deux ans de mobilisation devant aboutir à une révolution démocratique se soldent par l’instauration d’un régime autoritaire lequel ne cesse de choquer, semaine après semaine, par ses décisions, sa répression, ses nombreux chantages. Et surtout, il ne cesse d’entretenir cette peur écrasante contre la libre expression politique.
Les espaces ténus de liberté conquis par plusieurs décennies de luttes s’érodent à vue d’œil. Les prisons Algériennes se sont renfermées sur un nombre inédit de détenus d’opinion.
Il faut dire que le régime a compris deux choses. D’abord, que la fin de la partie de l’évanescent « mouvement du 22 février » se doit d’être sifflée. Il lui faut marquer l’imaginaire que l’épisode est plié. Accomplir le rite de clôture. Les coups de sifflets consomment les parties et « invitent » au retour chez soi. Le peuple est assigné solennellement à vaquer à ses occupations ordinaires.
Puis, le régime a, surtout, compris que le peuple sait maintenant se mobiliser amplement, de manière étendue et durablement. Le peuple a la conscience de la compétence acquise. Et le peuple réexercera cette aptitude un jour où l’autre.
Gagner du temps, sur ce jour ! Tel est maintenant le but permanent du régime et pour cela il faut agir vite et puissamment. Avec suffisamment de puissance pour que cette mémoire de l’aptitude à la mobilisation s’estampe aussi longtemps que possible. Du moins, le temps de se redéployer et de se reconsolider.
Pourtant, sans que cela ne soit le fait d’une décision précise, le peuple recommencera, tôt au tard.
La mémoire de l’émancipation collective survit toujours tant bien que mal ! Elle peut souffrir plus ou moins longtemps. Mais même inapparente, elle est toujours là, quelque part, diffuse et se diffusant.
Ce pendant et pour l’heure, le réengagement de cette aptitude est incertain.
Sauf scénario d’explosion sociale, il est difficile de parier sur sa reprise immédiate – en tous cas sous la forme que nous avons vécu à partir de février 2019 – sans risquer de flirter avec la conjecture. Reconnaissons tout de même que cette exception est celle qui se dessine comme fort probable, au vue du contexte économique du pays. Et dans le cas d’espèce l’expression d’une telle mobilisation, de par sa nature, risque d’être moins sereine que celle du 22 février.
Nous sommes convaincus que la dynamique du 22 février n’est qu’un moment inaugural. Le vœu du changement a l’unanimité.
En dehors de cette hypothèse, il est à craindre que nous connaissions un temps lent à attendre l’avènement de la parole du peuple. C’est autant de temps d’arbitraire, de retard à combler, d’injustice(s) et également de résistance. Oui le mouvement du 22 février fût formidable mais il a aussi été un regrettable gâché et une rageante dilapidation.
A qui la faute ? Les responsabilités incarnées sont nombreuses. Mais, le plus utile est d’identifier les mécanismes du gâchis.
Durant le mouvement, deux familles d’argumentaires ayant escamoté le débat et surtout l’émergence d’une alternative en projet doivent retenir notre attention.
Il y a eu le pseudo réalisme que l’Algérien est ce ci plutôt que cela. Confondant pêle-mêle attributs, nature, comme écrirait Spinoza. Ce fut des discours de décrets d’exécution politique s’octroyant le monopole de la lecture du réel, tout en mobilisant celui-ci comme élément de légitimation des fâcheux « commandements ». Pseudo réalisme ! plutôt.
C’est par la convocation de ce pseudo réalisme que la démocratie en Algérie a été « condamnée » à n’advenir qu’estropiée de son pendant de liberté de conscience, d’égalité des sexes et de droit positif universel, donc nécessairement de sa dimension laïque.
La nature de la démocratie est de ne pas survivre à l’incomplétude.
Le plus étonnant est que le mécanisme opère toujours. C’est dire à quel point nous affectionnons la réédition compulsive de nos mauvaises copies.
Cet épisode fut aussi l’occasion d’évaluer une autre extension inattendue du dégât. Quelques milieux politiques ayant évolué dans le sillage ou dans les retombées du MCB qu’ils soient dit souverainistes ou non ou encore de gauche ont aussi cédé à l’orgueil de la proclamation du réel.
On a malencontreusement fait fit que le réalisme de 80 fut opposé non à un idéal mais à une doxa d’unicisme. Mieux encore ses concepteurs ont bien pris le soin de le rendre consubstantiel à l’idéal démocratique. Ne conçoit pas de révolution qui veut. Nous y reviendrons !
N’a-t-on pas entendu des tirades sommant les inconvenants à la réalité du pays d’aller voir ailleurs !?
Au-delà de l’aspect anecdotique de l’affaire et des énonciateurs individuellement considérés, une majorité des « avant-postés » de la notoriété du mouvement n’en pensaient pas moins.
Dans le registre de la convocation abusée du réel, il y a aussi le réel de ceux qui sont dans on ne sait quels « petits papiers » pour détenir à coups de chuchotement les secrets des palais lesquels servent à structurer l’explication des contradictions du mouvement.
C’est à croire que la société politique algérienne est amorphe en matière d’idées et qu’elle n’est que le reflet, la projection des configurations des forces et intérêts du sommet. Une classe avec une pensée sans passé, ni présent et sans avenir. Là, on tutoie la psychose en continu. Et c’est plus grave ! A Paris, où on ne peut objecter la restriction politique pour ne pas dessiner une proposition de projet ne serait-ce que minimale au mouvement. Ce mode de réflexion a finalement sclérosé l’apport de la diaspora. Il a aussi fait couler beaucoup de bière.
Faute de vraies idées, il est bon de s’enivrer de la détention d’indiscrétions que l’on fait passer pour des traits de génies politiques cachant mal le sentiment de gratification tiré d’en avoir été dépositaire. Ceci, bien sûr, pour se mettre à la rechuchoter soit même. De longues chaines-relais d’intoxications politiques ont accompagné les séries d’intoxications éthyliques.
En fin et dans tout cela, la raison donc de ce ratage est sans doute dans la puissance du régime, puis entre autres dans ces dérivatifs de la pensé, mais surtout dans un défaut, au sens d’absence, dans la pensée. Nous avons manqué d’idéal.
Sous notre plume, l’écrire, ce n’est pas chercher des bouc-émissaires, car nous nous gardons de ne pas seulement montrer les acteurs. Nous révélons, principalement, les mécanismes de réflexion fautifs.
Nous ne nous trompons pas, non plus, dans l’indexations des responsables. Depuis 1962 et même 1958, l’Algérie souffre du militarisme et de l’islamisme politiques. En revanche, notre mouvement a raté surtout parce que le camp dit des démocrates a raté également.
Dégager une solution ne peut donc se contenter de la dénonciation des deux problèmes historiques de l’Algérie. Une critique plus large doit être menée. Plus jamais d’autres gâchis comme celui-là.
Pour revenir à ces travers de pensée politique, la rue Algérienne a pourtant proclamé l’Ideal : Algérie libre et démocratique. Oui, les idéaux de liberté et de démocratie sont des réalités bien concrètes sous d’autres cieux. Il y’a toujours du bon à courir un idéal et des utopies. Avec eux, la mémoire de la quête de l’émancipation se regénère et se fortifie face à l’autoritarisme sidérant et le cap n’est pas perdu. C’est tout ce dont nous avons besoin pour l’Algérie. Tout le reste en découlera.
C’est donc au maintien des idéaux, des utopies et des projets que nous souhaitons contribuer avec e-Topic.info. Gardez un œil sur notre site. Il peut servir à garder vif en mémoire qu’un jour nous avons voulu une Algérie libre et démocratique et nous l’avons crié haut et fort.